9 juin 2013

Témoignage Anonyme N°1

Vous connaissez sans nul doute cette célèbre citation de Friedrich Nietzsche : « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort », c’est la seule qualité que je donne à l’anorexie-boulimie, ces pathologies ne m’ont pas tuée et aujourd’hui je témoigne ici, plus forte que jamais.
Je n’ai jamais été grosse, normale tout au plus. Pourtant je n’ai aucun souvenir dans ma tête qui puisse me faire penser que je n’ai jamais pensé l’être. Petite  je me comparais déjà aux fillettes de mon âge, et je ne compte plus les tentatives de régime inscrites dans mon journal intime, et qui à la vue de mon jeune âge ne manquaient jamais d’échouer. 

Cependant lors de ma rentrée au lycée j’ai commencé à maigrir sans faire de régime particulier, ça n’était qu’un ou deux kilogrammes mais déjà je trouvais grisant de voir les grammes disparaître quotidiennement sur ma balance.
Forte de cette expérience, j’ai commencé à réduire mon alimentation ; banal cliché de la jeune fille qui privilégie les haricots aux frites, le yaourt au fromage ou l’orange à la pâtisserie à la cantine de votre école.

Lors de ma rentrée en terminale tout s’est accéléré : j’ai commencé à limiter mes sorties, prétextant un trop plein de travail, je fuyais les grands repas de famille et les goûters entre amis, puis les petits déjeuners ont commencé à passer à l’as et le déjeuner aussi, parfois. 

La vie était en train de me quitter, seule l’exaltation des kilogrammes perdus persistait à m’habiter, et à pourrir une vie dont je commençais à ne plus vouloir.

J’ai appelé à l’aide le 25 novembre 2006, ça a été le premier appel à l’aide d’une longue série et bien qu’ils aient toujours été entendus, jamais je ne réussis à attraper la main que l’on me tendait.
C’est peu de temps avant décembre que mon médecin de famille a parlé d’anorexie, et c’est pleine de bonne volonté que j’ai commencé à reprendre quelques kilogrammes à coup de boissons hyper énergétiques, et de petits plats préparés avec amour. 
C’est à ce moment-là aussi que j’avalais mes premiers cachetons et rencontrais mon premier psychiatre. 

Mais inversement au retour des kilos sur la balance ma bonne volonté, elle, se faisait la malle. 

Bien que cette année-là je réussisse mon bac, (ma famille y voyait la cause de mon mal-être), la maladie elle ne faisait que commencer à s’incruster sournoisement dans mon cerveau, ma peau, mes entrailles et la moindre petite parcelle de vie qui demeurait. 
Elle voulait ma peau, elle l’aurait.

J’avais décidé de partir faire mon secondaire à plusieurs centaines de kilomètres de chez moi, pour être loin d’une famille et d’amis qui m’étouffaient. 
Pour me punir de ne pas être constamment proche d’une famille que j’aimais trop ; je m’imposais d’être une personne parfaite : une personnalité qui me rassurait tellement, que je ne me reconnaissais plus sans.
Cette année-là je devins potomane et l’anorexie s’accentua « je ne contrôle plus la nourriture mais c’est elle qui me contrôle, elle me bouffe de l’intérieur, elle empoisonne mon esprit […] » « je bouffe par procuration par l’intermédiaire des vitrines de boulangeries que je croise sur mon chemin ». Voilà ce que j’écrivais alors.

A cette époque-là, j’ai rencontré mon second psychiatre et une nouvelle catégorie de cachetons.

Puis un jour, j’ai basculé dans l’horreur, la hantise de toutes les anorexiques, la boulimie. Je ne répéterais jamais assez aux gens que non la boulimie n’est pas due à un manque de volonté, c’est une pulsion qui vous prends aux tripes, il faut que vous répondiez à cette pulsion, il n’en est pas possible autrement. 
Plus rien n’existe lors des crises, plus personne, vous devenez un monstre capable du pire, vous êtes seul face à votre détresse, seul avec la bouffe, votre meilleure ennemie.

Dès qu’une crise se déclenchait, je devenais un animal enragé, je courrais au supermarché du coin faire le plein de mes aliments à crise : lait, céréales, biscuit, yaourt. Des aliments que je m’interdisais en temps normal mais que je vomissais plus facilement. 
La crise terminait, j’allais vomir mon dégoût où je pouvais, le plus discrètement possible, en pleurant silencieusement.

« Je veux manger,
Bouffer autant que possible. C’est tout.
Et puis quand j’aurai le ventre plein, 
Tout ça,
Je le dégueulerai.
Et j’aurai l’impression que tout ce qui est nul en moi,
Je peux l’extraire de mon corps. »

L’extrait de ce livre exprime exactement les sentiments qui étaient miens à cette époque-là, crise ou pas, j’étais devenue un être répugnant, un être vide qui ne s’animait que lors des multitudes de crises quotidiennes qui le faisait vivre l’espace de quelques heures et l’enfonçait un peu plus dans le chaos.

Malgré les vomissements je commençais à voir mon corps se modifier avec une horreur telle que je ne pouvais plus me regarder dans le miroir. Mon entourage, lui, s’extasiait devant cette reprise de poids, ce qui eut pour effet pervers de m’inciter à me scarifier. Oui car je n’allais pas bien : les kilos revenaient eux mais la vie persistait à me quitter, je voulais leur crier que « NON, ÇA NE VA PAS » mais je me taisais.

Le seul moyen silencieux mais visible que j’ai trouvé pour appeler à l’aide ça a été de me balafrer le bras à coup de lame de rasoir. C’était aussi jouissif que de perdre des kilos : la douleur occasionnée me permettait d’exister un instant, de ressentir une douleur autre que celle qui transperçait mon cerveau de toute part me faisant vomir ma rage du monde. 
Voir le sang couler sur son bras et se dire que non on n’irait pas aux urgences, que la cicatrice resterait aux yeux de tous comme la seule marque de ma force : moi j’en suis capable, je suis forte, je vais mal mais je suis forte. 
Oui j’ai été perverse et manipulatrice, j’ai été un monstre capable de me scarifier pour exister aux yeux des autres. Je n’ai jamais connu rien de plus exaltant que le regard gêné d’inconnus sur mes cicatrices, pouvoir m’imaginer leurs pensées, la pitié qu’il pouvait ressentir.
Face à mon bras les gens étaient à ma merci, si ils avaient eu des doutes avec l’anorexie ou la boulimie, là ils ne pouvaient plus douter : la personne en face d’eux allait mal, ils ne pouvaient pas faire semblant avec moi, ils devenaient mes marionnettes, ce que je voulais d’eux je l’obtenais.

Après cinq ans de souffrance et autant de psychiatres, l’espoir de guérir un jour m’avait quitté entièrement, je finirai ma vie ainsi, si je ne me suicidais pas avant. 
J’y ai pensé à de nombreuses reprises, je n’ai jamais eu le courage de passer à l’acte. Pourquoi me direz-vous ?
Choisir de faire souffrir mes proches plutôt que de souffrir moi-même je ne pouvais m’y résoudre, j’avais choisi l’enfer, il fallait que j’assume ce choix, j’étais vouée à souffrir toute ma vie, c’était ainsi : la fatalité sans doute.

Et puis un jour de plus, un jour de trop, je me retrouve aux urgences psychiatriques, on me donne le nom de la personne qui va me sauver la vie mais je ne le sais pas encore.

Aujourd’hui, je vais bien. Après 5 mois d’hospitalisation à la clinique Stella, je m’estime « guérie », bien que ce mot soit un mélange d’angoisse et d’espoir pour moi.
Je mentirais si je vous disais que ça a été facile : c’est avec l’aide de nombreuses personnes que je me reconstruis tous les jours.
Le combat se poursuit quotidiennement à coup de petites victoires et de grands bonheurs. 

Merci à l'ensemble de l'équipe médical, à mes proches : ma famille et mon copain, et merci à tous les jolis papillons que j'ai côtoyé.

4 commentaires:

  1. Ce qui est vraiment étonnant dans votre parcours, ce que vous n'avez jamais travaillé avec un psychologue pendant ces 5 ans (en tout cas, c'est pas mentionné). Cela aurait pu être la solution la plus adaptée, sans passer par les cachetons.

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  2. Non vous avez raison mais à l'époque j'avais tendance à penser que les psychiatre étaient plus compétents que les psychologues, à tord je le reconnais.

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  3. Merci pour votre témoignage très touchant. Et tout à fait d'accord avec vous. Les psychiatres étant des médecins,il y a les urgentistes qui font du très bon boulot en secteur hospitalier, sans faire preuve d'aucune discrimination, et il y a ceux qui, quand ils daignent vous recevoir, soignent avec les médocs, la pilule qui calme, celle qui fait dormir, celle qui donne l'appétit.... Contrairement aux psychologues, ils ne font pas de travail sur eux et donc renvoient souvent au patient quelque chose d'eux-mêmes, de leur propre problématique, qui fausse l'objectivité et fait parfois plus de mal que de bien.Certains sont très à l'écoute et en empathie, d'autres sont plus dans une relation de force que dans une relation d'aide. Les psychologues et psychothérapeutes entendent mieux la souffrance, ils ont le recul nécessaire pour accompagner et aider le patient, même si le chemin est long ! Bon courage dans votre reconstruction.

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  4. Comment se passe la prise en charge aujourd'hui à la clinique Stella? Est-on vraiment pris en compte individuellement? ou est ce qu'on est un livré à soi-même comme dans l'ancienne unités pas très adaptée? Je serai curieuse de savoir, car personnellement, je ne peux pas dire que j'en suis sortie guérie, d'ailleurs, c'est toujours un combat pour moi!
    Merci pour les infos

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